L’angoisse de manger seul ?

par | A la une, Mieux se connaître | 2 commentaires

Vous ne supportez pas l’idée de manger seul(e) ? Cette situation vous met dans une position inconfortable, vous avez des stratagèmes pour l’éviter voire vous la fuyez comme la peste ? Si c’est le cas, vous serez sans doute sensible à l’application Never Eat Alone qui, comme son nom l’indique, permet d’organiser des déjeuners entre collègues et de ne plus jamais manger seul(e) ! Au-delà de l’aspect réseautage qui mérite évidemment d’être salué, je me pose quand même la question de cette injonction à manger forcément à plusieurs.

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Manger à plusieurs, la norme… voire le graal

La pause déjeuner entre collègues est, il est vrai, parée de 1000 vertus. D’après une étude récente, elle serait considérée comme un moment de détente pour 56% des Français, et 80% la plébiscitent en déjeunant avec leurs collègues pour une durée moyenne de 52 minutes. Moment de partage et de convivialité, temps informel qui permet de mieux se connaître, le fait de manger à plusieurs aurait tout bon. Pas étonnant  car manger ne satisfait pas seulement des besoins biologiques (se nourrir) mais aussi des besoins  psychologiques (réjouir) et sociaux (réunir).

Manger avec l’autre permet ainsi d’honorer notre part sociale, c’est même « l’acte social par excellence » si l’on en croit Gilles Fumey, enseignant-chercheur en géographie culturelle de l’alimentation. Manger avec ses collègues a quelque chose de rassurant :

  • parce que cela nous conforte dans l’idée que nous sommes sociables et faisons partie d’un groupe, nous nous sentons intégrés, inclus et entourés ;
  • parce que cela nous donne la sensation (l’illusion ?) de ne rien rater, de maîtriser et d’être dans le contrôle de ce qui se dit et se trame pendant cet entre-deux communautaire.

Les difficultés d’être seul(e) à table

Manger seul(e), c’est souvent au mieux bizarre, au pire glauque et triste pour certains d’entre nous. Manger avec ses collègues est même chaudement recommandé par des coachs qui invitent à « utiliser sa pause déjeuner pour augmenter sa productivité » (sic). Vu sous cet angle, et partant du principe que « les humains sont des êtres sociaux », manger seul(e) ne fait évidemment pas partie des habitudes que les gens qui réussissent font pendant le déjeuner ! Par ailleurs, dans l’imaginaire collectif, manger se fait forcément à plusieurs, à tel point que, dans beaucoup de traditions, « manger seul(e) recouvre même une très forte connotation d’anormalité », comme si le mangeur solitaire était exclu du vivre ensemble. C’est du moins ce que suggère le philosophe Jean-Sébastien Philippart, qui dénombre trois figures de mangeur solitaire : l’ermite, le sauvage et le fou. Rien que ça !

Trop de personnes appréhendent ainsi de se retrouver seules à table et :

  • ont recours à des subterfuges par habitude ou pour créer une présence (que ce soit la télévision, la tablette, le téléphone portable ou même un livre) afin de remplir leur solitude, se donner une contenance et/ou se détourner d’elles-mêmes ;
  • se tournent vers le social eating, une nouvelle tendance qui consiste à regarder manger voir manger ensemble… mais toujours par écran interposé et en direct ;
  • voire s’abstiennent purement et simplement d’aller au restaurant quand ils ne sont pas accompagnés. Force est de constater aussi que les convives sont souvent perturbés et regardent avec pitié et incompréhension les personnes qui prennent un repas seules.

Seul ou mal accompagné ?

Et pourtant, ici comme ailleurs, manger seul vaut (toujours) mieux que manger mal accompagné ! Dans la vraie vie (de l’entreprise), il n’est pas rare que la pause déjeuner tourne en réunion informelle et que le travail s’invite à table. Il se peut aussi que vous n’ayez pas envie (parfois) de partager votre repas avec vos collègues ou que vous ayez juste besoin de vous retrouver en solo sans obligation de faire la conversation à l’autre ! Heureusement, on peut manger seul(e) et être bien dans son assiette ! Je partage ainsi à 100% le point de vue du critique gastronomique François Simon qui considère qu’il n’y a « rien de pire que d’être accaparé par un vis-à-vis qui vous empêche de profiter. Alors que seul, toutes les sensations sont décuplées, je regarde les assiettes passer, j’observe, je note les menus détails. Je vis pleinement l’instant. »

Les bienfaits de manger seul(e)

Si vous avez peur de passer pour un ours et d’être étiqueté comme quelqu’un d’asocial (ah ce regard de l’autre !), sachez que manger seul(e) est bourré de bienfaits :

  • En solo, il est plus facile de savourer la dégustation, de profiter vraiment de son plat et de respecter sa satiété. Cela ne signifie pas que c’est impossible en compagnie, mais la distraction et la joie de la conversation peuvent nous détourner des saveurs. Alors que seul(e), on reste plus aisément centré et attentif à nos sensations alimentaires et notre plaisir gustatif. Au passage, stop aux idées toutes faites, on n’est pas obligé de manger assis pour déguster, on peut tout aussi bien être débout et prêter attention à ce qu’on est en train de faire ! Arriver à se réjouir d’un plat qu’on déguste en tête-à-tête avec soi (voire prendre la peine de se préparer et de dresser joliment un plat juste pour soi) est indispensable. C’est le signe qu’on apprécie sa propre compagnie, qu’on est à l’aise avec ce que l’on est.
  • Manger seul(e) permet de prendre un temps pour soi, de ralentir et souvent d’observer ce qu’il se passe autour de soi (comme dans une pièce de théâtre dont on serait le spectateur). Il peut être salutaire de s’extraire du groupe et de manger seul(e) quand on a besoin de se ressourcer. C’est ce que j’ai expérimenté il y a quelques mois : après avoir enchaîné deux semaines de formation, propices à la rencontre de plein de nouvelles têtes et remuantes sur le plan émotionnel, je n’avais plus d’énergie à donner aux autres. Le besoin de me ressourcer pendant le déjeuner, quitte à passer pour celle qui fait bande à part, s’est imposé à moi au démarrage de la deuxième semaine. Je n’ai certes pas rencontré les stagiaires de la 2ème formation, mais j’ai respecté mon besoin de solitude, sans me forcer à déjeuner avec les autres.
  • Manger en solo permet aussi de mieux se connaître, rien que ça ! En témoigne cette expérience d’une journaliste américaine, Simran Sethi, auteure du livre Bread, wine, chocolate sur lequel je vais forcément craquer (avec un titre pareil, c’est obligé !) qui explique en quoi apprendre à manger seule a changé sa vie. Ce qui peut paraître excessif de prime abord s’explique assez bien avec la suite de son témoignage. Elle a pris conscience qu’elle ne s’autorisait pas à manger seule au restaurant parce qu’étant célibataire, elle attendait, sans s’en rendre compte, d’être à deux pour le faire (« Je me privais de l’opportunité de vraiment savourer la nourriture parce que je continuais à attendre d’être avec quelqu’un pour le faire »). Le réaliser lui a permis d’être « présente à sa vie, capable de se montrer aux autres, à l’aise avec ce qu’elle était », bref de se faire honneur tout simplement. Evidemment, ayant eu du mal à m’ouvrir une bouteille de vin juste pour moi il n’y a pas si longtemps, ce genre de comportement me parle !

Rappelons-nous donc que manger seul n’est ni une tare, ni une punition. Cela peut être tout simplement un choix, pleinement assumé et même réjouissant, qui témoigne au passage de la qualité du lien que l’on entretient avec soi-même. Etant entendu qu’il est très agréable aussi de partager un moment convivial autour d’une table en bonne compagnie. Comme toujours, tout est affaire de mesure et ce qui est important au final, c’est d’être à l’écoute de ses besoins, de prendre le temps de revenir à soi pour sentir ce qui nous semble juste au moment présent. Peu importe le qu’en-dira-t-on et la nécessité que l’on s’impose trop souvent d’être conforme à ce que les autres attendent de nous. Une histoire d’émancipation en somme !

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2 Commentaires

  1. MAKINADJIAN

    Excellent cet article qui éclaire les avantages de ce qui est couramment vu comme qchose de desagreable et de bizarre….manger seul ! Merci Papilles Créatives! !

    • Papilles Créatives

      Merci Nath 🙂

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